Après trois années de gestion de la plus grande ville du pays, le parti islamiste a réussi à masquer son inexpérience en surjouant la prudence…
Le verdict des urnes à l’issue des élections communales de septembre 2015, ressorti largement en faveur du Parti de la Justice et du Développement (PJD), notamment dans les grandes villes, aura mis à nu, bien avant le bilan de mi-mandat, ses graves insuffisances en matière de gouvernance locale. Le constat est là, visible, voire flagrant. A Casablanca, où le parti de la Lampe a fait une razzia électorale en décrochant la majorité absolue, soit 74 sièges sur les 147 en jeu que compte le conseil de la ville. Résultat : le parti islamiste s’est retrouvée tout seul aux commandes de la plus grande ville du pays qui fait également office de sa capitale économique, alors qu’il ne dispose ni de vision stratégique pour gérer une métropole minée par plusieurs maux, ni compte en son sein des compétences pouvant répondre efficacement aux véritables attentes des habitants ou apporter une valeur ajoutée au système de représentation basé sur la proximité. Tétanisés par l’ampleur de la tâche et conscients de leurs limites gestionnaires, méfiants à l’égard d’un système, le maire Abdelaziz Omari et ses amis, ont préféré pendant la première année de leur mandat ne pas trop s’engager pour ne pas dévoiler leur incompétence au grand jour. Une tactique qu’ils ont reconduit pour la deuxième année mais le navire de la gestion locale commençait déjà tanguer.
Poussant la prudence jusqu’à son paroxysme, M. Omari laissait les dossiers s’accumuler sur son bureau. Une grève de signature qu’il expliquait en comité restreint par sa crainte de se faire piéger par un adversaire qui pourrait lui faire signer à son insu un projet pas aux normes. A force de se méfier de tout le monde sous peine d’être piégés, l’islamisme communal à Casablanca a fini par tourner à l’immobilisme. Un mandat islamiste blanc ? Une expérience pour pour rien.
Passivité
En tout cas, M. Omari et son équipe n’ont pas montré aux Casablancais de quel bois ils se chauffent ; ne serait-ce que pour pouvoir se comparer avec la gestion ancienne des partis classiques que les dirigeants du PJD ont longtemps décriée. Du coup, au lieu de prendre à bras-le-corps les problèmes de la métropole et de sa population les édiles islamistes se sont contentés de faire de la figuration, délaissant par prudence politicienne et inexpérience locale « le permis de gouverner qui leur a été octroyé par les citoyens en guise de vote sanction de l’ancienne gestion.
Devant cette passivité, une question se pose d’emblée : qui gouverne la métropole ? « Heureusement que la précédente équipe a lancé avant de céder la main de grands projets structurants dans différentes circonscriptions de Casablanca », explique un élu de l’opposition. « Omari et les siens doivent une fière chandelle à Sajid et à son équipe pour avoir mis pleins de projets dans le pipe », renchérit un autre élu.
Et pourtant, le parti est seul maitre à bord à Casablanca. En plus de la majorité absolue, 74 sièges, dont il dispose, le parti a conclu une alliance avec le Rassemblement national des indépendants (RNI), 23 sièges qui lui a valu de décrocher deux vice-présidences et avec le parti du progrès et du socialisme (PPS), 3 sièges, qui a obtenu en retour une vice-présidence.
C’est dire que le PJD a la capacité de faire passer ses projets en conseil de la ville en comptant uniquement sur ses ses propres élus. Mais pour gérer convenablement une ville, encore faut-il disposer d’une élite gestionnaire dotée d’une vision globale pour asseoir le développement local tout en corrigeant les dysfonctionnements.
Gouvernance
Faute d’un profil ayant les qualités requises pour chapeauter le secteur des affaires économiques de la métropole, le parti s’est rabattu sur un instituteur pour assurer cette responsabilité de première importance. Idem pour le secteur de l’urbanisme échu au premier vice-président dont le profil est identique à celui des affaires économiques. Le domaine culturel n’est pas mieux loti non plus avec un vice-président qui cultive une vision de la culture diamétralement opposée à celle des acteurs du secteur. Cette situation a rejailli évidemment sur l’état des institutions qu’il chapeaute. L’école supérieure des Beaux arts de la ville est sans directeur depuis la rentrée scolaire alors que les complexes culturels ont du mal à être attirer du monde faute justement de programmes attrayants. Ce n’est pas sous l’équipe actuelle aux commandes que le festival de Casablanca pourra ressusciter. Quant aux maisons de jeunes, en état de décrépitude avancée, il ne faut pas s’attendre non plus à ce qu’elles redeviennent cet espace d’épanouissement des jeunes oisifs des quartiers périphériques de la ville. On peut continuer à noircir le tableau à l’envi. Si la déception est grande chez la population, les islamistes continuent à bénéficier auprès de certains sympathisants de préjugés favorables sur le plan de l’éthique et de la moralité. «Au moins, les islamistes sont honnêtes et sérieux, ce qui n’est pas le cas des élus des autres partis », lance un électeur issu d’un quartier populaire.
C’est pour pallier cette faiblesse de la gouvernance locale que la Banque mondiale a été impliquée en tant que partenaire expert dans la gestion de la métropole dont il s’agit de mettre à niveau un certain nombre de secteurs encore à la traîne. Le bénéfice politique de ce programme de redressement urbain ambitieux qui court jusqu’à 2022 profitera certainement aux islamistes. Voilà qui confirmerait encore une fois que ces derniers sont un vrai buvard qui sait absorber le travail…des autres.
A Casablanca, tout reste affaires…
La mairie de Casablanca vient d’essuyer deux camouflets judiciaires. L’un relation avec le dossier du « Paradise club » sur la corniche casablancaise et l’autre se rapportant au conflit autour du fameux marché «Crio». En effet, le tribunal administratif de Casablanca a annulé les décisions de résiliation des deux contrats relatifs à ces deux complexes qui font partie du patrimoine communal de la métropole prises par le maire PJD Abdelaziz El Omari dans la foulée de la prise de ses nouvelles fonctions. Motif : une foule de dysfonctionnements suspects auraient accompagné la mise en œuvre de ces projets. L’ex- marché Crio, tombée dans l’escarcelle du groupe Chaâbi dans es conditions opaques, avait fait l’objet d’une action d’expulsion brutale en avril 2017 (Voir enquête Canard 468). Quant au complexe Paradise, il a été récupéré par Abdelilah Akram du temps où il était président du WAC dans le cadre d’une location pour une période de 10 ans portée ensuite à 45 ans ! Le montant du loyer, 1,35 millions de DH, est dans commune mesure avec la superficie de ce bien et son emplacement stratégique en front de mer. Un cadeau inestimable que l’on doit à la commune d’Anfa qui a signé ce contrat inouï. Il faut reconnaître que la bataille autour de ces deux affaires peu claires et bien d’autres comme celle du complexe la Sqala louée bizarrement pour 750 DH par mois avait été déjà engagée par l’ex-maire Mohamed Sajid. Celui-ci avait mis en place den 2013 une procédure de récupération d’un patrimoine précieux bradée pour l’on sait quelle raison au profit d’exploitants privés. Du coup, M. Omari et son équipe ont hérité de ces scandales qui méritent bien une inspection poussée du ministère l’Intérieur.
Casablanca en chiffres
La ville de Casablanca compte 3 359 818 habitants, ce qui fait d'elle la ville la plus peuplée du Maroc. La Région de Casablanca-Settat, incluant Casablanca, Mohammedia, Nouaceur, Médiouna, El Jadida, Benslimane, Berrechid, Settat et Sidi Bennour, regroupe environ 6,9 millions d’habitants (RGPH 2014).
Huit Préfectures d’Arrondissements
Casablanca-Anfa, Al Fida - Mers Sultan, Aïn Sebaâ - Hay Mohammadi, Aïn Chock, Hay Hassani, Ben M'sick, Sidi Bernoussi et Moulay Rachid.
16 Arrondissements communaux
Sidi Belyout, (présidence PJD), Anfa, (RNI), Maârif, (PJd), Al Fida, (PJD), Mers Sultan, (RNI), Aïn Sebaâ, (RNI), Hay Mohammadi, (PJD), Roches Noires, (PJD), Aïn Chock, (PJD), Hay Hassani, (PJD), Ben M'sick, (UC), Sbata, (PJD), Sidi Bernoussi, (PJD), Sidi Moumen, (PJD), Moulay Rachid et Sidi Othmane (PJD).
L’arc-en-ciel politique de la mairie
La mairie compte 147 sièges le PJD, 74, le RNI, 23, l’UC, 20, le PAM, 15, le PI, 8, le PPS, 3, le MP, 2, l’USFP, 2.
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